Rééducation concomitante de la langue et de la respiration : une nécessité physiologique
Plongez dans l'importance de la rééducation concomitante de la langue et de la respiration avec Dr. Patrick Fellus. Découvrez comment les avancées en neurosciences renforcent notre compréhension des rééducations fonctionnelles et pourquoi une approche globale est cruciale pour l'équilibre dynamique.
Dr. Patrick FELLUS
- Fondateur de la Société Française d'Orthodontie Pédiatrique
- Inventeur du Froggymouth
LES PROGRÈS ET LA VULGARISATION DES NEUROSCIENCES BOULEVERSENT ACTUELLEMENT TOUS LES PROCESS HABITUELS QUE CE SOIT LE NEUROMARKETING, LE NEUROLEADERSHIP, LA NEURO-ÉDUCATION. NOTRE SPÉCIALITÉ BÉNÉFICIE AUSSI DE CES AVANCÉES SCIENTIFIQUES QUI NOUS PERMETTENT DE MIEUX APPRÉHENDER LE PROBLÈME DES RÉÉDUCATIONS FONCTIONNELLES.
Mais il est surtout important de comprendre que ce n’est pas la rééducation d’une praxie qui doit être prise en charge, la déglutition pour nous autres orthodontistes, la respiration pour la médecine du sommeil, le drainage de l’oreille interne pour les ORL, l’élocution pour les orthophonistes, mais la totalité des praxies oro-faciales pour assurer un équilibre dynamique global. Heureusement, la nature peut nous venir en aide si l’on respecte des processus d’acquisitions qui sont physiologiques.
QUATRE APPROCHES RÉGISSENT ACTUELLEMENT LES PROTOCOLES, COMMENT CHOISIR LA THÉRAPEUTIQUE LA PLUS EFFICACE ?
ENGRAMMATION
I) Soixante pour cent (60%) des enfants découvrent spontanément un nouveau programme de déglutition aux environs de l’âge de quatre ans d’une manière totalement naturelle et inconsciente que nous appellerons la voie anoétique.
Gènes et épigénèse interviennent spontanément au moment de l’apparition de la mastication, et provoquent une augmentation de Nerve Growth Factor, produisant de nouveaux neurones et donc de nouveaux circuits neuronaux.
Un court rappel de certains principes fondamentaux nous permettra de mieux comprendre l’influence de la physiologie et de la biochimie.
LA MÉMOIRE NE REPOSE PAS SUR LES PROPRIÉTÉS DES CELLULES NERVEUSES EN TANT QUE TELLES MAIS SUR LA NATURE DES CONNEXIONS ENTRE NEURONES ET LEUR MANIÈRE DE TRAITER L’INFORMATION SENSORIELLE REÇUE.
L’ÉQUILIBRE FONCTIONNEL N’EST PAS UN ÉTAT STABLE, MAIS UN ÉTAT EN PERPÉTUEL REMANIEMENT.
Des informations sont analysées en permanence et sont généralement ignorées très rapidement, mais elles peuvent amener à une réorganisation par voie anoétique si elles sont pertinentes.
II) De nombreux praticiens préfèrent ignorer la correction des praxies oro-faciales dans leurs schémas thérapeutiques, et espèrent que la normalisation de l’occlusion dentaire permettra l’acquisition d’un schéma fonctionnel équilibré en fin de traitement. Cette approche aléatoire sera là aussi anoétique.
III) Mais il est actuellement de plus en plus admis que les dysfonctions entraînent des dysmorphoses et qu’elles doivent être traitées tout autant que les déformations des arcades dentaires.
La technique la plus usitée concerne une approche volontaire de ces acquisitions. Praticiens, orthophonistes, kinésithérapeutes, vont essayer de faire prendre conscience au patient des gestes qu’il effectue habituellement puis des gestes qu’il doit appréhender. Nous sommes dans une approche top-down (volontaire, noétique) où les ordres partent de la partie corticale et descendent vers les effecteurs moteurs.
Eric Kandel, Prix Nobel de Médecine, montrait que l’efficacité dépendra de la fréquence de ces stimulations et de la pratique quotidienne des exercices prescrits. Espacées, les séances modifieront les messages transmis au niveau des synapses, mais cela n’impliquera que la mémoire à court terme. En revanche, si les informations sont répétées régulièrement, le noyau interviendra pour en assurer le passage dans la mémoire à long terme.
IV) Froggymouth, par l’activation du système émotionnel, ouvre un nouveau mode d’enregistrement immédiat dans la mémoire à long terme que les chercheurs nomment « now print » (imprimer en mémoire le contenu actuel de l’activité neuronale.) (2)
INTERACTION ENTRE LES DIFFÉRENTS CIRCUITS
Les autres circuits neuronaux gérant d’autres praxies oro-faciales pourront être ainsi concernés grâce à une communication entre ces différents éléments appelée le « connexionnisme », rôle dévolu aux cellules gliales, 4 à 5 fois plus nombreuses que les neurones et dont le rôle est essentiel dans les apprentissages. (1)
Autour de la synapse, les cellules gliales captent la conversation comme une écoute téléphonique et vont diffuser les informations à l’ensemble des autres circuits neuronaux par l'intermédiaire des gliotransmetteurs comme si l’information était diffusée par voie radiophonique à l’ensemble des circuits et permettre à d’autres circuits qui n’étaient pas impliqués dans le processus de rééducation de profiter de ces informations pour améliorer leur efficacité.
Ce système « connexionniste » rappelle le mode de fonctionnement des dominos tombeurs et le simple fait de contrôler la posture labiale activera le circuit de la déglutition qui activera le contrôle de la respiration nasale et ainsi de suite permettant une rééducation de praxis difficilement accessibles.
La langue adoptera une posture haute dans sa partie postérieure (dôme lingual) qui stimulera la croissance transversale du maxillaire supérieur, améliorant ainsi son confort dans les cas d’étroitesse.
Un retour à une respiration physiologique favorisera l’inhibition des méta-circuits gérant la respiration buccale.
Ces interactions sont nécessaires pour instaurer un équilibre permanent.
AUTOMATISATION
« Force est de constater que les rééducations neuro-musculaires linguales, labiales, fonctionnelles récidivent fréquemment.
Mais s’agit-il vraiment d’une récidive ?
Cela supposerait qu’il y ait eu guérison. Il semble plutôt que le but recherché, à savoir l’automatisation de la posture de la fonction, n’ait pas été obtenu. C’est pourtant cela la véritable guérison.
Nous ne sommes pas assez vigilants pour contrôler minutieusement si l’automatisme a été obtenu. Nous nous contentons souvent d’observer les réponses neuro-musculaires aux ordres donnés. Il s’agit bien au contraire d’obtenir un automatisme, donc une praxie sans conscience. » Maryvonne FOURNIER.
C’est pour ça qu’il faut apporter tout autant d’intérêt à l’automatisation qu’à l’engrammation, étape que les travaux de Björk nous permettent de mieux comprendre.
Il a décrit 4 protocoles d’apprentissage :
A.A.A.A. E
A.A.A.T. E
A.A.T.T. E
A.T.T.T. E
A représentant par exemple une séance d’apprentissage classique, T des tests intermédiaires permettant d’évaluer les progrès réalisés et E l’évaluation finale.
Il demande aux participants de choisir selon eux le meilleur protocole. La majorité choisira le programme 1 alors que le plus efficace est le programme 4.
Cette stratégie 4 sera reprise dans les programmes de jeux gérés par l’intelligence artificielle.
« Ce n’est généralement qu’en fin de partie que l’on sait si elle est gagnée ou perdue….
L’astuce qu’ont trouvée les informaticiens consiste à apprendre deux choses en même temps : agir et s’autoévaluer.
Une moitié du système, qu’on appelle le critique, apprend à prédire le score final. À chaque instant, ce réseau de neurones évalue l’état du jeu et tente de prédire la récompense : suis-je plutôt en train de gagner la partie ou de la perdre ?
Grâce aux critiques qu’il se forge au fil des essais, le système dispose d’une évaluation de ses actes à chaque instant et non plus seulement à la fin de la partie.
L’autre moitié du réseau, l’acteur, peut alors utiliser cette évaluation pour se corriger. Au fil des essais, l’acteur et le critique progressent ensemble, l’un apprend à agir à bon escient en se focalisant sur les actions les plus efficaces tandis que l’autre apprend à évaluer les conséquences de ses actes ».
Ces séances de contrôle pourront être confiées aux parents qui devront trois fois par jour dire à l’enfant si ses lèvres sont dans une posture correcte (les circuits corrects seront renforcés inconsciemment par la libération de dopamine) et trois fois par jour les reprendre s’ils constatent une contraction des orbiculaires.
Sous les ordres des cortex prémoteur et moteur, la séquence motrice sera gérée par les circuits de la substance grise de la moelle épinière et du tegmentum du tronc cérébral (motoneurones alpha). Elle sera contrôlée au niveau du cervelet, qui détecte et corrige la différence entre mouvement exécuté et mouvement souhaité, et des ganglions de la base qui suppriment les données erronées et préparent les mouvements à venir.
Un test tout simple nous permettra de juger si notre rééducation a été efficace : demander à l’enfant de compter jusqu’à 60, si vous apercevez la langue entre les arcades dentaires, l’automatisation n’a pas encore été obtenue. Si la langue reste bien à l’intérieur des arcades dentaires, vous pourrez espacer de plus en plus vos séances de surveillance.
Une rééducation de la respiration est une condition nécessaire à la rééducation de la langue qui est nécessaire à la rééducation respiratoire. Cette approche rejoint les travaux publiés par Takashi Ono qui met même en avant l’intervention des muscles du diaphragme et du nerf phrénique.
Seule la voie anoétique favorisera la mise en place naturelle de cette approche.
Bibliographie contemporaine :
1) Yves AGID, Pierre Magistretti. L’homme glial. Éditions Odile Jacob. 2018
2) Stanislas DEHANNE. Apprendre, Éditions Odile Jacob. 2018
3) Francis EUSTACHE. La mémoire entre sciences et société. Éditions le Pommier. 2019
4) Olivier HOUDE. Que sais-je ? Le raisonnement. 2018